Entre le 14 juillet 2022 et le début du mois de juin 2023, 44 députés ont posé une question écrite au ministre de l’Education nationale Pap Ndiaye au sujet de la mise en œuvre controversée du nouveau régime d’autorisation de l’instruction en famille. Etat des lieux d’une remise en cause profonde et justifiée, alors que la Commission des affaires culturelles et de l’éducation a préconisé une commission d’enquête.

Depuis l’été 2022 et la première vague de refus massifs des demandes d’autorisation d’instruction en famille suivant la mise en œuvre de la loi « confortant les principes républicains », les questions écrites au gouvernement sur ce sujet n’ont pas manqué, loin s’en faut, émanant de tous les bords politiques, y compris du parti présidentiel initiateur du projet de loi.

Une très grande majorité des questions interroge la mise en œuvre des décrets d’application concernant le 4e motif de demande d’autorisation, à savoir l’existence de cette fameuse « situation propre à l’enfant motivant le projet pédagogique » : comment clarifier son flou d’interprétation, comment résoudre les disparités territoriales des réponses de l’administration, comment assurer le respect de l’esprit originel du législateur, etc.

Le ministère se voit également fréquemment sollicité pour fournir de manière transparente les statistiques de ses services concernant les demandes, les autorisations et les refus, motif par motif et académie par académie, ainsi que les pourcentages de dossiers retoqués par soupçon de séparatisme.

Les réponses de la rue de Grenelle se montrent pour le moins silencieuses sur les inégalités territoriales des traitements, mais aussi frileuses en empathie et riches en dogmatisme.

Dénonciation des refus massifs

Près d’une trentaine de parlementaires s’emploie à dénoncer fortement les refus massifs et abusifs d’autorisation (27 questions exactement, dont certaines émanant du parti présidentiel ou de la gauche) :

Disparités des critères d’attribution selon les académies

Près de la moitié des parlementaires qui ont interrogé le ministre pointe du doigt les disparités des critères d’attribution des autorisations entre les académies (20 questions explicites sur le sujet). Il s’agit de :

Un motif de situation propre à l’enfant extrêmement flou

Ainsi, 19 députés accusent explicitement le motif de « situation propre à l’enfant » d’être extrêmement flou et donc sujet à interprétations subjectives de l’administration, ce que confirment les disparités territoriales de traitement.

Une dizaine (11 précisément) de questions, y compris émanant d’un député du parti présidentiel et d’un député socialiste, réaffirment avec force que la liberté éducative, dont l’instruction en famille, fait partie des libertés constitutionnelles fondamentales.

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Absence de transparence du ministère sur les refus

Douze parlementaires pressent le gouvernement de fournir des statistiques claires des demandes, des refus, académie par académie, des dossiers retoqués pour soupçons de séparatisme, des demandes pour motif 4 et leur réponse, des nombres de RAPO, etc :

Un colossal différentiel entre l’esprit de la loi et sa mise en œuvre

A la lumière des retours de leurs administrés, près d’une quinzaine (14) de parlementaires pointe du doigt le différentiel colossal entre l’esprit de la loi et sa mise en œuvre, en citant les propos des promoteurs de la loi eux-mêmes lors des débats :

Pas de véritable incidence de la nouvelle loi sur la radicalisation

Huit parlementaires questionnent l’incidence de la nouvelle loi sur la radicalisation :

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Pas de véritables objectifs de cette nouvelle loi

Certains parlementaires mettent également en doute l’argumentaire affiché de lutte contre les séparatismes et cherchent à connaître les véritables objectifs, dissimulés derrière cet épouvantail, ayant conduit au changement législatif :

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La question du baccalauréat et de la brièveté de la période de demandes

Un sénateur (Max Brisson, Les Républicains, Pyrénées Atlantiques) met en doute la pertinence d’exigence du baccalauréat ainsi que la brièveté de la période de demandes. Jean-Claude Anglars (Les Républicains, Aveyron) questionne le changement de rôle du maire, et Jean-Pierre Decool (Nord – Les Indépendants-A) le suivi des listes scolaires par la création d’un référentiel national.

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Peu de réponses de la part du ministère

Face à cette batterie de questions renouvelées depuis un an, la stratégie de réponse du gouvernement semble avoir peu évolué – et une très grande partie des réponses est manifestement établie par copier-coller, sans attention portée à l’angle particulier de la question ou ses demandes de précisions.

En ce qui concerne le flou du motif 4, le ministère se cache derrière une interprétation pour le moins hardie, presque en forme de pirouette, de la réserve d’interprétation du Conseil Constitionnel du 13 août 2021, de laquelle « résulte[rait] [pour] les responsables légaux sollicitant une autorisation d’instruction dans la famille pour ce motif [qu’ils] ne doivent pas seulement justifier de la situation propre de leur enfant et présenter un projet éducatif. Les critères portent sur la conception du projet éducatif qui doit être adapté à la situation de l’enfant afin que celui-ci puisse bénéficier d’un enseignement conforme à l’objet de l’instruction obligatoire. »

A l’interrogation sur les refus massifs qui est son corollaire, le gouvernement plaide pour la compétence de ses services, finalement seuls à même de juger « la forme d’instruction la plus conforme à son intérêt », s’appuyant ainsi sur la décision du Conseil d’État du 13 décembre 2022. Il renvoie ensuite systématiquement, en s’en satisfaisant, à la possibilité des recours administratifs pour établir une jurisprudence.

Pour autant, à partir d’avril 2023 est ajoutée au sein de la réponse toute-faite deux phrases qui n’y figuraient pas auparavant : « Ainsi, il ne s’agit pas d’interdire sans discernement tous les dispositifs d’instruction dans la famille et de porter atteinte aux pratiques positives. La notion d’intérêt supérieur de l’enfant et le respect des droits de l’enfant, en particulier à une éducation complète, sont les critères principaux qui gouvernent l’ensemble du dispositif. »

Black-out sur les chiffres locaux des refus d’autorisation

Face aux demandes de statistiques, qui lui parviennent dès le mois d’août 2022, le ministère ne répond qu’après 7 mois, à partir du mois de mars 2023 (1 seule réponse), puis surtout du mois d’avril. Jusqu’au 18 avril 2023, les chiffres fournis évoquent des données recueillies « au 1er décembre 2022 », et n’indiquent que le pourcentage de 89,8 % d’autorisations accordées (61,3 % pour le motif 4), en mêlant pleins droit et premières demandes.

A partir du 25 avril 2023, la base de données s’ouvre, son recueil s’établissant  « au 1er février 2023 »,  et déroule davantage de précisions, discriminant les nombres et pourcentages d’autorisations accordées ou non motif par motif, et chiffrant également à part les autorisations de plein-droit demandées, accordées ou refusées. Y est fait également l’ajout de 47 demandes [refusées] pour l’inscription sur les fichiers FIJAIS et FIFAIT de la personne chargée de l’instruction de l’enfant. Aucune distinction cependant entre les différentes académies.

Ainsi, il est frappant de constater que les taux de refus académie par académie et motif par motif ne sont toujours pas communiqués, malgré les demandes rétirées de nombreux parlemenaires.

Aux questions plus « musclées » concernant le bien-fondé de la loi, le différentiel entre son esprit initial et son application, aux citations de Jean-Michel Blanquer, Anna Brugnera, Gérald Darmanin, Emmanuel Macron, au cours des débats de 2021, il est opposé le même texte de réponse, mot pour mot, augmenté cependant, à partir d’avril 2023, du paragraphe statistique.

Enfin, pour les questions plus techniques, sur le nouveau rôle du maire, les listes scolaires, la nécessité de fournir un diplôme du baccalauréat ou la briéveté de la période des demandes, les réponses sont personnalisées.

Satisfecit et dogmatisme imperturbable du ministère

Nous voyons donc que dans les réponses qu’il apporte aux questions des parlementaires, le gouvernement affiche une interprétation de la réserve du Conseil Constitutionnel qui n’est pas sans interroger, des statistiques brandies comme un satisfecit, et un dogmatisme imperturbable concernant le bien-fondé de la scolarisation obligatoire dès 3 ans sauf rares exceptions.

Charles de Courson est l'un des plus ardents défenseurs de cette liberté d'instruire en famille, dont il a lui-même bénéficié.
Charles de Courson est l’un des plus ardents défenseurs de cette liberté d’instruire en famille, dont il a lui-même bénéficié.

Comme l’avait rappelé le député Charles de Courson à l’Assemblée, en Allemagne c’est la loi du 7 juillet 1938 qui rendit interdite l’école à la maison en imposant l’obligation scolaire : son article 2 indiquait :  « L’autorité de surveillance scolaire décide des exceptions. » Ainsi, les rédacteurs de l’article 26,3 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1958 furent des Allemands qui espéraient que d’autres pays ne referaient pas cette même erreur de privation d’une liberté fondamentale, en écrivant : « les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants. » 

De fait, la garantie de liberté d’éducation des enfants est un droit inaliénable des parents, premiers éducateurs de leurs enfants, et reconnu par les Déclarations internationales des droits humains, comme aussi la Convention internationale des Droits de l’Enfant.

Pour aller plus loin :

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