Notre association était reçue ce 15 juin 2023 au nom de M. Jean Hubac, chef de service de l’accompagnement des politiques éducatives, adjoint au directeur général de la DGESCO, retenu en dernière minute pour une réunion du Conseil Supérieur de l’Éducation avec le ministre. C’est donc M. Marc Pelletier, sous-directeur de l’action éducative à la DGESCO, qui nous a finalement accueillis, accompagné de M. Laurent Vaudou, adjoint au chef de bureau de la réglementation et de la vie des établissements, de Mmes Isabelle Capette et Laure Lefebvre, du même service. Liberté éducation était représentée par sa responsable des relations avec les familles, Mme Joséphine Demeudon, également maman ayant fait le choix de l’instruction en famille, et M. Jean-Baptiste Maillard, secrétaire général.

De nombreux refus injustifiés d’instruction en famille (IEF) au niveau national

Après une courte introduction dans laquelle nous avons affirmé notre volonté de dialogue et de coopération avec le ministère, nous avons soulevé le problème des refus au niveau national avec notre palmarès 2022-2023 des académies les plus restrictives (voir ici).

Nous avons rappelé que pour le motif le plus demandé par les familles (le 4 : « situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif »), le taux de refus des nouvelles demandes est de 37,6%, contrairement au taux de 90% d’acceptation annoncé par le ministre Pap Ndiaye le 11 avril dernier au Sénat, chiffre faussé car incluant les autorisations de plein droit jusqu’en septembre 2024, qui n’ont donc pas eu encore à faire de demande d’autorisation.

Nous avons également présenté les premières tendances des refus pour la rentrée prochaine (schéma ci-dessous), qui montrent que l’harmonisation annoncée ne semble pas encore entrée en vigueur.

Premières tendances (pour 60 refus, notre association étant appelée à l’aide pour 5 à 10 refus chaque jour) – agrandir

Sept exemples de refus injustifiés

Nous avons illustré cette problématique des refus par une série de situations concrètes : enfant en situation de harcèlement ayant essuyé un refus, mais également refus pour handicap pourtant reconnu par une académie, ou encore refus pour un enfant ayant choisi le motif « activités sportives intensives », pratiquant du tennis plus de 14 heures par semaine en club, et classé…

    1. Académie de Lille, le 24 mai – refus malgré harcèlement :

« La présente décision de refus a été prise après consultation du médecin de l’éducation nationale. Les éléments constitutifs de votre demande n’établissent pas que l’instruction dans la famille est la forme d’instruction la plus conforme à l’intérêt de l’enfant, en l’absence d’un courrier d’un pédopsychiatre explicitant le diagnostic médical, la prise en charge et précisant son avis sur la scolarisation à domicile. »

    1. Académie de Lille, le 31 mai – refus malgré handicap :

« La présente décision de refus a été prise après consultation du médecin de l’éducation nationale. Les éléments constitutifs de votre demande d’autorisation d’instruction dans la famille n’établissent pas l’impossibilité pour votre enfant de fréquenter assidûment un établissement d’enseignement public ou privé en raison de sa situation de handicap. (…) L’instruction dans la famille n’apparaît donc pas nécessaire pour l’année 2023-2024. »

    1. Académie de Versailles, le 2 juin – démontrer un obstacle à la scolarisation n’est pas dans la loi :

« La situation décrite comme propre à votre enfant (respect du rythme, faire comme ses frères et sœurs) ne constitue pas un obstacle à sa scolarisation. »

    1. Académie de Nancy-Metz, le 1er juin – jugement sur l’école à la maison à l’encontre du consensus scientifique et des 98% de succès aux contrôles :

« Refus eu égard à la capacité de l’école de travailler les compétences psychosociales que sont la confiance en soi, la motivation et le plaisir d’apprendre, d’autant plus efficacement que ce travail se fera dans le cadre d’un collectif »

    1. Académie de Lille, le 2 juin – même jugement :

« En l’état, ces éléments ne constituent pas une situation propre à l’enfant motivant dans son intérêt le projet d’instruction dans la famille. L’instruction dans un établissement scolaire constitue la forme d’instruction la plus conforme dans son intérêt ».

    1. Académie de Dijon, le 2 juin – une situation propre évolutive ?

« L’autorisation vous est accordée pour 2023-2204 mais la situation propre sera réévaluée à la rentrée 2024

    1. Académie de Toulouse, le 31 mai :

Un refus pour terminer l’année scolaire 2022-2023 mais un accord pour l’année prochaine !

Sept témoignages du vécu des familles lors des refus

Nous leur avons lu les témoignages suivants :

    1. Jean, académie de Montpellier :

« J’ai un sentiment d’autoritarisme, de ne pas être considéré et respecté dans ma qualité de parent, qui est le plus à même de juger ce qui est le mieux pour mes enfants.  Le refus de l’administration est expéditif, sans aucune argumentation ou justification, alors même que le projet présenté est solide et a été préparé avec l’aide d’un établissement de cours à distance. Ce refus est d’autant plus ironique que la personne chargée de l’instruction des enfants (leur mère), est une professeur des écoles diplômée de l’éducation nationale… Bref, sentiment d’être un pion. Qui plus est, les délais mis en jeu pour faire une réclamation semblent bénéficier à l’administration et créent un stress supplémentaire. En effet, les parents souhaitant défendre leurs droits légitimes doivent composer avec un fort sentiment d’incertitude, et anticiper deux possibilités pour l’année à venir : avoir gain de cause ou devoir finalement mettre les enfants dans un établissement scolaire. Les deux possibilités impactant très différemment l’organisation familiale (gestion des horaires très différente, disponibilité des enfants différente pour leurs activités créatives et sportives, etc.), il est particulièrement difficile d’anticiper les deux options en parallèle et de rester dans l’incertitude. »

    1. Marie-Laure, académie de Nantes :

« Je suis en état de choc, sidérée ! Professeur des écoles, j’ai enseigné 15 ans devant plus de 450 élèves de la PS au CM2. J’ai choisi de faire une pause professionnelle, depuis 3 ans j’instruis en famille mes enfants, tous les contrôles pédagogiques de l’académie sont positifs, mes enfants sont heureux et épanouis. Aujourd’hui, l’académie de Nantes me refuse le droit d’Instruire En Famille mon petit dernier qui n’a pas encore 3 ans, alors que je conserve ce droit pour ses aînés. Comment l’administration peut-elle justifier des décisions aussi violentes et inhumaines qui vont à l’encontre du bien-être des enfants ? Comment peut-on briser ainsi des fratries ? »

    1. Najat, refus dans l’académie de Lille, malgré une situation de harcèlement (situation exposée plus haut) :

« Nous ne savons plus quoi faire. J’ai forcé ma fille à aller à l’école pendant 4 ans en me disant que ça irait mieux, là c’est impossible : elle ratait beaucoup l’école, souffrant de maux de ventre, maux de tête, vomissements… Nous voulons le bien de notre fille, pour nous, l’école ce n’est pas pour le moment. L’école n’a jamais reconnu ce qui s’était passé avec les enfants qui l’ont frappée et harcelée. Nous avons toujours été seuls. Ma fille n’a ni confiance dans les adultes ni dans les enfants de son âge. »

    1. Chrystelle, académie de Nancy-Metz :

« Je suis triste et en colère, je trouve ça injuste de ne pas pouvoir instruire mon enfant dans le respect de nos valeurs basées sur l’écoute, l’estime et le libre-arbitre… Je vis ça durement, comme si on me privait de mon rôle de mère et d’accompagnatrice… »

    1. Olivier, académie de Nancy-Metz :

« Je ressens une véritable infantilisation alors que nous sommes des personnes compétentes et professionnelles de l’enseignement. Une humiliation arbitraire et oppressante en tant que parent et citoyen. »

    1. Linda, académie de Toulouse, pour un adolescent classé en sport au niveau national et qui fait 14 heures par semaine de sport en club :

« Nous avons été surpris parce que nous avons obtenu l’autorisation pour l’année en cours pourtant dans les mêmes conditions. Nous avons eu un rapport de contrôle pédagogique très favorable.  Nous nous sentons atteints dans nos droits. Nous trouvons cette décision complètement arbitraire. »

    1. Elsa, académie d’Orléans-Tours :

« Je me sens prisonnière de ce système puisqu’une fois que l’enfant a mis les pieds à l’école, c’est difficile de l’en sortir ! Je trouve que c’est une loi déconnectée de la réalité car les familles choisissent souvent l’ief par choix familial et là on se retrouve à devoir raconter que notre enfant est atypique ! Si on sait écrire un dossier ça passe sinon ça ne passe pas, quelle que soit la réalité de ce qu’on fait avec les enfants !”

Nous avons rappelé que les parents qui font le choix de l’IEF se donnent à fond. Ils font un choix de vie qui implique des changements au niveau professionnel, financier, géographique, de l’organisation familiale… Ce sont des parents qui ne veulent pas modeler leurs enfants à leur image, mais qui souhaitent qu’ils deviennent eux-mêmes et s’épanouissent. Quand la possibilité d’éduquer leur enfant comme ils le veulent leur est enlevée, c’est suffisamment grave pour que certains quittent le pays. Ce qu’ils vivent est très violent car on touche à l’intime. L’impossibilité de se projeter sur le long terme pour un mode de vie qui implique des choix à fort impact ajoute au stress des familles.

Malheureusement, ces témoignages n’ont pas suscité de réaction particulière chez nos interlocuteurs. Il a juste été mentionné que le fait d’être enseignant de profession ne présageait en rien de l’autorisation ou non d’instruire son enfant en famille.

Cinq questions précises, mais peu de réponses

Nous leur avons enfin posé cinq questions précises :

  1. Serait-il envisageable de communiquer les chiffres des refus académie par académie, motif par motif, dans un souci d’une meilleure transparence ? Pourquoi ne sont-ils pas communiqués ? Est-ce à cause de cette disparité territoriale reconnue par le ministre, citons « dans certains départements, c’est un non très massif » (Pap Ndiaye) ?

Sur ce point, il nous a été répondu que les chiffres pour l’année en cours n’étaient pas encore totalement consolidés (au 15 juin !), mais que notre demande était bien prise en compte. Nos statistiques des refus, pourtant réalisées à partir de 400 refus de familles l’année dernière, ont été largement remis en cause, en raison de « profils et motifs différents selon les académies ». Par exemple, le nombre de demandes d’autorisations au total est très différent selon les académies, ce qui induirait des taux de refus biaisés, voire non-significatifs, ce pourquoi nous avons rappelé la nécessité de communiquer les chiffres académie par académie, motif par motif, comme de nombreux députés le réclament depuis plusieurs mois, encore cette semaine avec une question écrite.

  1. Quelles ont été les conclusions de la réunion des référents IEF le 9 mai dernier ? A-t-on parlé d’une « loi d’exception » et peut-on en savoir plus par exemple sur l’harmonisation (est-il question de quotas ?)

Il nous été répondu « non, il n’a pas été question de ‘loi d’exception’ ni de quotas ». Quant à l’harmonisation, il nous a été précisé qu’elle « consiste à faire appliquer la loi par les académies, selon la jurisprudence établie par le Conseil d’Etat, et ses décisions nous confortent ». A savoir, « la présence d’une situation propre pour l’enfant, correspondant au projet éducatif, et que la motivation soit la bonne. Nous avons travaillé aussi pour que le dispositif de recours soit respecté par les académies. » L’important pour eux est que les dossiers soient instruits correctement, c’est-à-dire selon la réglementation en vigueur : la publication du Vademecum à courte échéance donnera des consignes dans ce sens. Nous voici rassurés ! Mais nous avons rappelé à cette occasion que la jurisprudence ne s’arrêterait pas au Conseil d’Etat puisque plusieurs familles se portent actuellement devant la Cour européenne des Droits de l’Homme.

  1. Est-il également envisageable de collaborer à la rédaction du nouveau Vademecum de l’Instruction en famille, dont la précédente version date de 2020 ?

Il nous a été répondu que ce Vademecum est sur le point d’être publié (bien qu’il était au point mort la semaine précédente, selon nos informations), mais que nous pourrons faire à la Dgesco de nos éventuelles remarques.

  1. Est-il également possible que nos associations bénéficient d’un contact référent IEF dans chaque académie afin d’anticiper sur les difficultés rencontrées par les familles ?

Il nous a été répondu que nos interlocuteurs privilégiés restaient les académies, avec les contacts que nous avons déjà aujourd’hui.

  1. Dans le cas des demandes d’IEF à cause de harcèlement nécessairement en cours d’année, est-il également possible d’avoir un contact avec le référent harcèlement de chaque académie ?

Il nous a été répondu que le bon contact pour les familles est le chef d’établissement. Nous avons alors précisé que dans certaines situations de harcèlement, celui-ci émet un avis négatif pour une instruction en famille, ce à quoi il nous a été répondu « c’est de toute façon le directeur des services de l’éducation nationale local qui tranche ». Comme s’il ne risquait pas ainsi de se retrouver en porte à faux avec les chefs d’établissement, alors même que c’est souvent une question de vie ou de mort pour les enfants. Un problème systémique dans les écoles publiques et dont la Première ministre a fait une priorité de la prochaine rentrée, comme le soulignait le dessin en Une du Monde du même jour (image ci-dessus). Il nous a également été précisé que lors d’une demande d’IEF pour les cas de harcèlement, il faut qu’elle corresponde à l’un des quatre motifs proposés par la loi, le motif de santé semblant le plus probable dans ce type de situation.

Une proposition de partenariat association – ministère

Lorsque nous avons proposé de nouer un partenariat officiel entre notre association et le ministère, il nous a été répondu : « nous sommes très étonnés que vous vouliez collaborer avec l’école, alors que vous êtes en dehors de l’école ». Nous avons donc expliqué : « Nous ne faisons pas l’école à la maison contre l’école, nous instruisons nos enfants autrement. Nos enfants ne sont plus en dehors de l’Education Nationale depuis la nouvelle loi sur l’IEF. Nous sommes désormais très liés à vous, nous dépendons de vous puisque c’est vous qui nous permettez de commencer ou de poursuivre ou non l’instruction en famille ». La question d’une collaboration officielle est donc restée ouverte, avec cette précision qu’elle passerait nécessairement par une décision du Ministre de l’Education nationale. Egalement évoquée, la possibilité d’organiser une journée pédagogique pour les enfants instruits en famille, à l’aune de nos propres expériences comme la participation de ces enfants IEF aux cérémonies du 8 mai.

Une rencontre qui a permis de briser la glace, malgré les incompréhensions

Nous espérons que cette première rencontre en présentiel, qui a permis de briser la glace, permettra d’autres échanges avec la DGESCO, afin de mieux leur présenter la réalité de l’instruction en famille, qu’ils ne semblaient pas réellement connaître.

Nous espérons également aider à faire davantage respecter cette liberté fondamentale des parents, premiers éducateurs de leurs enfants, qui ne peuvent être entravés dans ce choix pour des raisons dogmatiques, comme nous le soulignait un haut-fonctionnaire du ministère de la culture rencontré le matin même.

Nous espérons enfin que soit mise en œuvre la recommandation de la Commission des Affaires culturelles et de l’éducation qui préconise l’ouverture une commission d’enquête chargée de dresser un état des lieux précis de l’instruction en famille, afin de faire toute la lumière sur les nombreuses zones d’ombre de ces milliers de refus injustifiés, vécus comme un traumatisme par les familles.

 

 

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