Une commission du Sénat a voté pour la suppression de l’article 21 du controversé et clivant projet de loi prétendant vouloir conforter le respect des principes républicains. Les discussions en plénière des sénateurs commencent le 30 mars 2021, et le vote pour cette première lecture au Sénat aura lieu d’ici le 8 avril. Et après ?

Le sénateur Stéphane Piednoir, rapporteur pour l’article 21, nous avait auditionnés au Sénat dès le 10 février, au sein de l’interasso IEF. Il a défendu hier un amendement de suppression auprès de la majorité Républicaine au Sénat, sur lequel il revient aujourd’hui pour Public Sénat :

Les sénateurs se sont montrés dans leur ensemble fortement opposés au projet de loi, comme le sénateur Max Brisson qui a déclaré vouloir « dénoncer la suspicion inacceptable que cet article faisait peser sur les parents », l’Etat n’étant pas « le seul juge de l’intérêt supérieur de l’enfant » :

Une belle bataille a commencé

Adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 12 février, l’article 21 posait le principe de la scolarisation obligatoire dans des écoles en France. Contrairement au souhait de Jules Ferry, qui avait sanctuarisé cette possibilité, rendant seulement l’instruction obligatoire.

Ainsi l’instruction en famille passait d’un régime déclaratif à un régime d’autorisation, autrement dit d’interdiction déguisée, comme en Chine.

Ce « changement de paradigme », comme a écrit le premier ministre à des familles ayant fait librement ce choix, signifierait que l’interdiction de l’instruction en famille s’appliquerait par défaut. Et de nombreux chercheurs estiment que la liberté de choisir l’instruction en famille démontre clairement la force d’une démocratie.

Une liberté fondamentale

Préserver la liberté d’enseignement en France demeure une lutte permanente et indispensable. Il s’agit donc d’abord de conforter le rôle des parents comme premiers éducateurs de leurs enfants contre des mesures de défiance à leur encontre qui seraient liberticides. L’instruction en famille est en effet une liberté fondamentale et constitutionnelle. C’est aujourd’hui un droit déjà très strictement encadré, pour lequel il convient d’abord d’appliquer les dispositions existantes, sachant que seulement 70% des contrôles sont aujourd’hui réalisés par l’Education nationale.

S’étaient opposés à ce régime d’autorisation la Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la Ligue des droits de l’Homme et le Syndicat national des inspecteurs d’académie. Quant à la prétendue accusation de séparatisme, la cheffe du renseignement territorial avait déclaré, auditionnée en commission spéciale par les députés de la majorité, ne pas faire de lien entre croissance de l’école à la maison et montée du radicalisme.

Sollicités par de nombreuses familles de leurs circonscriptions, de nombreux députés se sont battus contre ce projet attentatoire aux libertés fondamentales, entraînant des dissensions au sein même de la majorité. Le 11 février, lors de l’examen de l’article à l’Assemblée, le gouvernement craignait déjà la suppression pure et simple de l’article : il provoqua une suspension de séance pour obliger les députés de la majorité à s’accorder entre eux et négocier avec le Modem. Cela fit reporter l’échéance de l’application de la loi de 2022 à 2024 pour les familles pratiquant déjà l’IEF. Une décision perçue par elles comme un pis-aller, une manœuvre loin de les satisfaire.

Rappelons que l’objectif initialement souhaité par le gouvernement est de drastiquement restreindre le nombre d’enfants instruits en famille. Sa lacunaire étude d’impact prévoit d’imposer la scolarisation à 29 000 enfants, soit deux tiers des 45 000 enfants actuellement instruits en famille hors CNED réglementé, c’est-à-dire des enfants qui correspondent à ceux dont les parents auraient dû invoquer un 4e motif – très flou – pour pouvoir continuer.

Les sénateurs ont donc choisi de laisser les deux modes d’instruction – à l’école et en famille – continuer à coexister simplement pour répondre à des besoins et situations divers, dans l’intérêt des enfants.

Et après ?

Le rejet de l’article 21 est une première victoire qui attend cependant d’être confirmée d’ici le 8 avril. Ensuite, en cas de désaccord entre l’Assemblée et le Sénat, c’est l’Assemblée qui a, in fine, le dernier mot. Mais la majorité peut tout à fait revenir à la raison sur l’article 21, contrainte par l’opinion, surtout en cette période électorale qui s’ouvre.

Dans l’immédiat, cet article en moins, le projet de loi est transformé : une commission paritaire va se réunir après le vote de l’ensemble du projet par les sénateurs, pour tenter de trouver un terrain d’entente. Cette commission sera composée de 7 députés et 7 sénateurs. En l’absence de consensus, le projet de loi reviendra à l’Assemblée nationale pour une dernière lecture en procédure accélérée (*), avant adoption dans son état définitif, mais qui peut d’ici là évoluer : il faut donc continuer à se mobiliser pour que perdure cette liberté fondamentale !


(*) Choisie par le gouvernement pour ce projet de loi. « La procédure accélérée est, en droit constitutionnel en France, le fait qu’un projet de loi ne fasse l’objet que d’une lecture par chambre du Parlement (Assemblée nationale puis Sénat) avant d’être adoptée. Cela réduit donc la navette parlementaire à une unique transmission du texte. » (Wikipédia). Il restera ensuite le Conseil constitutionnel. 

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