Communiqué commun de l’inter-association nationale de l’instruction en famille – prochaines étapes : le Sénat, court retour à l’Assemblée et saisine du Conseil constitutionnel
Avec le maintien de l’article 21 par l’Assemblée nationale, les « progressistes » de LREM marchent à reculons, piétinant les valeurs de la République.
Ce 1er juillet, en séance plénière de l’Assemblée nationale (deuxième lecture), l’article 21 – relatif à la mise en place d’un régime d’interdiction de l’instruction en famille (IEF) sauf dérogation – a été maintenu dans le projet de loi confortant le respect des principes de la République (1).
Tous les amendements à l’article 21 visant à préserver un régime déclaratif ou à respecter l’autorité parentale (par exemple, ajouter le projet éducatif de la famille comme motif permettant la délivrance de l’autorisation) ont systématiquement été rejetés, y compris ceux co-signés par plusieurs dizaines de députés de la majorité présidentielle.
Très tard hier, la suppression de cet article avait été rejetée par 56 votes – principalement LREM et Modem – contre 28 (2).
Toujours pas de chiffres, encore moins « accessibles sur simple demande »
La restriction de liberté prévue par l’article 21 est infondée : « Nous ne pouvons pas légiférer à l’aveugle sans données fiables sur un sujet aussi important » (Anne-France Brunet, LREM), « Où sont les éléments chiffrés ? Les raisons de faire l’IEF n’ont rien à voir avec la radicalisation » (Alexis Corbière, LFI), « On ne légifère pas sans chiffre et sans raison valable » (Julien Ravier, LR), « Vous nous demandez de vous suivre les yeux fermés » (Anne-Laure Blin, LR), « Les cas d’enfants exposés à un risque de radicalisation sont exceptionnels. Pourquoi […] généraliser ? » (Lamia El Aaraje, Socialistes et apparentés).
Pressée par des députés, demandant et redemandant explicitement : « La DGESCO (Direction générale de l’Enseignement et de la Scolarité) a-t-elle établi des rapports sur l’IEF, oui ou non ? Si oui, quand et pouvez-vous nous les transmettre ? » (Xavier Breton, LR), la secrétaire d’État chargée de l’Éducation prioritaire a fini par répondre : « Oui il y a des rapports qui sont produits en moyenne tous les deux ans. Ils sont consultables sur simple demande. »
Pourtant, depuis 8 mois, le ministère a toujours refusé de rendre publics ces rapports malgré un avis favorable de la CADA l’enjoignant à le faire. Au point que nous avons décidé de saisir la justice vendredi dernier, pour y avoir accès (3).
Entêtement au service d’une dérive idéologique vers une toute puissance étatique
Les députés se sont étonnés de l’entêtement du ministre à imposer un régime de censure a priori aux familles : « Alors que nous avons été élus sur un programme de simplification, vous complexifiez le système ; […] L’IEF doit pouvoir s’exercer dans une logique de confiance entre les famille et l’État » (Gaël Le Bohec, LREM), « Toutes ces prises de parole, depuis tous les bancs, au sujet de cette liberté fondamentale que vous voulez supprimer ne vous interrogent-elles pas ? […] Il s’agit d’un régime liberticide, de défiance envers tous les parents alors qu’ils savent dans la très grande majorité des cas ce qui est bon pour leurs enfants. L’État ne doit intervenir, de manière subsidiaire, que dans les défaillances » (Xavier Breton, LR).
Lors de la session du 30 juin, les explications de la rapporteure ont révélé que ce n’est pas tant le risque de radicalisation qui inquiète le gouvernement, que celui que des familles choisissent l’IEF dans le contexte de crise sanitaire liée à la Covid. S’agirait-il d’utiliser la coercition et la suppression de la liberté de choix des parents pour éviter d’avoir à dialoguer avec familles et enseignants pour trouver des réponses adaptées aux réalités du terrain ?
La réalité du terrain et l’efficacité de la mesure semblent peu importer au gouvernement. Cette restriction de liberté – une de plus – est dogmatique : elle a pour but d’imposer la scolarisation entre les murs, et ce dès trois ans.
L’argumentation ministérielle évolue perpétuellement en fonction de la mise en évidence de ses failles. Puisque l’accusation de risque de radicalisation ne tient plus faute de chiffres, le ministre et la rapporteure évoquent désormais le droit à l’instruction de l’enfant, qui ne serait pas satisfait en IEF – alors qu’il l’est mieux qu’à l’école (4) -, ou la question de la socialisation – alors que les études scientifiques démontrent que les enfants instruits en famille sont très socialisés (5).
Une liberté qui risque d’être progressivement étouffée
Des députés de tous partis ont pointé les risques d’arbitraire et de discrimination d’un tel régime, risques d’autant plus grands que les modalités d’application de l’article 21 seront définies par décret, sans contrôle parlementaire.
Ils ont appelé à ne pas se servir du droit à l’instruction de l’enfant contre la liberté d’enseignement, ni de l’intérêt supérieur de l’enfant pour défendre des mesures qui lui portent en réalité atteinte (6). Ils ont aussi alerté quant à l’ajout de toujours plus de contraintes administratives et de contrôles intrusifs au fil du temps, avec l’adoption de lois et décrets liberticides successifs (7).
En France, comme dans de nombreuses démocraties, c’est l’instruction qui est obligatoire, pas la scolarisation en établissement. L’atteinte portée à la liberté d’enseignement par les dispositions prévues aux articles 21 et suivant est unanimement dénoncée en France et à l’international (8,9).
Même si le Sénat devait à nouveau, en deuxième lecture, supprimer ces dispositions, l’Assemblée nationale – qui aura le « dernier mot » – risque malheureusement de les rétablir.
Il restera heureusement le rempart du Conseil constitutionnel pour préserver les principes républicains, dont la liberté d’enseignement, qui étayent la construction de notre société depuis les Lumières (10).
Les associations et collectifs :
LED’A, LAIA, UNIE, FELICIA, EELM, Liberté Éducation
Les cours Pi
Pour aller plus loin :
- Une association nationale IEF attaque en justice le ministère de ‘Education nationale pour obtenir les rapports Dgesco
- Une liberté fondamentale ne peut être soumise à un régime d’autorisation préalable.
Notes et références :
1- Cet article 21 avait été rétabli par la Commission spéciale le 9 juin après avoir été supprimé par le Sénat en première lecture.
2- Les résultats du scrutin public sont accessibles ici : https://www2.assemblee-nationale.fr/scrutins/detail/(legislature)/15/(num)/3865
3- Communiqué inter-asso « Une association nationale attaque le ministère de l’Éducation nationale en justice pour obtenir les rapports de la DGESCO sur l’instruction en famille » 25 juin 2021 : https://droit-instruction.org/2021/06/25/une-association-nationale-attaque-le-ministere-de-leducation-nationale-en-justice-pour-obtenir-les-rapports-de-la-dgesco-sur-linstruction-en-famille/
4- Les contrôles concluent au respect du droit à l’instruction des enfants instruits en famille dans plus de 98 % des cas. À rapprocher des constats du rapport sur l’illétrisme de 2018 (https://www.lepoint.fr/education/notre-systeme-scolaire-programme-l-illettrisme-18-09-2018-2252162_3584.php) et de ceux du rapport sénatorial de juin 2021 sur l’attractivité du métier d’enseignant en mathématiques (http://www.senat.fr/rap/r20-691/r20-6911.pdf). Sans oublier l’insuffisance de moyens pour prendre en charge correctement les enfants présentant des troubles du spectre de l’autisme ou des troubles de l’apprentissage de type dys (https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/education-le-cas-des-dys-et-des-autistes-illustre-cruellement-limpuissance-dun-systeme).
5- Sondage Felicia 2020-2021 « Rapport – Partie 1 : Profil des familles en IEF 2020-21 » https://instructionenfamille.org/wp-content/uploads/2021/01/Felicia_-_Rapport_Partie_1_-_Profil_des_familles_en_IEF_2020-21.pdf
6- Les conséquences d’un tel régime seront dramatiques : souffrance scolaire, séparation des fratries, discriminations, impossibilité d’organiser la vie de famille et la carrière professionnelle des parents, multiplication des contentieux administratifs puis juridiques. Le fait qu’une absence de réponse vaudrait autorisation tacite ne résout rien puisque l’administration aura plusieurs mois pour se rétracter, et les familles seront exposées à une grande insécurité génératrice d’angoisse pour les enfants (https://blogs.mediapart.fr/coordination-inter-asso-ief/blog/290621/loi-separatisme-pour-les-droits-de-lenfant-protegeons-lenseignement-domicile)
7- Madame Brugnera a d’ailleurs souligné elle-même que les motivations des familles relevaient « de l’intime », de la sphère privée, pour expliquer que les représentants des associations de défense de l’IEF ne pourraient vraisemblablement pas participer aux cellules rectorales de recours contre les décisions de refus d’autorisation !
8- Extrait du dossier documentaire inter-asso « Restreindre l’instruction en famille : un projet qui fait l’unanimité contre lui (prises de positions de chercheurs et professionnels (santé, pédagogie, histoire, droit) » https://droit-instruction.org/wp-content/uploads/2021/01/Dossier-IEF-positions-pro.pdf
9- LED’A « Des chercheurs et auteurs internationaux soutiennent la liberté pour tous d’instruire en famille » https://droit-instruction.org/wp-content/uploads/2021/01/Dossier-des-chercheurs-internationaux-sur-lIEF.pdf
10- Selon le Conseil d’État, l’article 21 « soulève de délicates questions de conformité à la Constitution » (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3649_avis-conseil-etat.pdf).