Lettre ouverte à M. Emmanuel Macron : « N’interdisez pas l’école à la maison »
à l’occasion de sa venue à Tours, le 5 janvier 2021
par Jean-Baptiste Maillard, Secrétaire général de l’association tourangelle Liberté éducation – instruction en famille.
Monsieur le Président,
Le 2 octobre 2020, vous avez annoncé vouloir interdire l’école à la maison : « J’ai pris une décision sans doute l’une des plus radicales depuis les lois de 1882 et celles assurant la mixité scolaire entre garçons et filles en 1969 ». Saviez-vous cependant qu’en 1882, ce ne fut pas l’école qui fut rendue obligatoire, mais l’instruction ? Que Jules Ferry lui-même défendit l’instruction en famille ? Il refusa même un amendement d’un député – un certain M. Paris – qui réclamait des contrôles, au motif qu’il ne fallait pas jeter de la « suspicion » sur ces familles…
1. N’instaurons pas un climat de suspicion
La suspicion, c’est pourtant que ce que nous subissons depuis votre annonce : les parents qui font l’école à la maison seraient de dangereux séparatistes, leurs enfants des terroristes en puissance. On sait pourtant très bien qu’aucun terroriste ayant agi sur le territoire français n’a fait l’école à la maison. On nous rétorque que dans un cas très particulier, des enfants d’une école clandestine – depuis démantelée – étaient déclarés comme instruits en famille. Alors donc, parce que certains se déguisent en policiers pour s’introduire chez les gens et les cambrioler, il faudrait interdire la police ?
Lors du passage du projet en commission des lois, le 20 décembre dernier, la députée Annie Genevard, Vice-présidente de l’Assemblée nationale et Présidente du Conseil national Les Républicains, a déclaré : « La liberté d’enseignement des familles ne peut disparaître au nom de la lutte contre l’islamisme. Nous serons très attentifs à préserver cette liberté fondamentale sans rien céder à l’islamisme ». Au sujet de ce radicalisme dont l’école à la maison serait un vecteur, votre ministre de l’Education le reconnaissait au même moment : « C’est vrai qu’à ce stade nous avons plutôt des évaluations du phénomène qu’un véritable comptage ». Et d’ajouter que « 50% des enfants présents dans les écoles clandestines récemment démantelées étaient déclarés en IEF », sans donner la valeur de référence. Mais 50 % de 10 enfants ne sont pas la même chose que 50% de 60 000 : pourquoi ne pas donner directement le nombre d’enfants concernés ? Sur l’Inde-et-Loire, d’après le directeur administratif des services de l’éducation nationale, il n’y a aucune famille radicalisée parmi les 300 familles qui font l’école à la maison.
2. Un choix de vie familial partagé par de nombreuses familles
Puisque vous êtes en visite à Tours aujourd’hui, sachez qu’avec mon épouse, M. le Président, nous nous sommes installés dans cette belle ville il y a dix ans dans le but de pouvoir y faire l’école à la maison. Nos enfants y sont très bien socialisés, participant à de nombreuses activités culturelles (par exemple au Conservatoire régional de musique), associatives et citoyennes. Nous n’avons pas l’intention de partir, nous nous battrons jusqu’au bout pour le maintien de cette liberté fondamentale !
3. Une liberté fondamentale non-négociable des parents
En France, à la même époque où furent votées les loirs Ferry garantissant la liberté d’éducation, fut votée la loi sur la liberté de la presse. Le régime de l’autorisation préalable ainsi que le cautionnement furent abolis, on passa à un régime où seuls les délits sont réprimés, sans possibilité de censure a priori. Pourquoi, M. le Président, faire le chemin inverse aujourd’hui pour l’école à la maison, en passant à un régime d’autorisation, où l’a priori fait loi ? Avec pour seul échappatoire ce que le Conseil d’Etat a fait ajouter, c’est-à-dire « une situation particulière de l’enfant », ce qui d’un point de vue juridique s’avère particulièrement flou et donc potentiellement soumis à l’arbitraire de l’autorité administrative. Laquelle a d’ailleurs précisé, par la voix du syndicat des inspecteurs d’académie, qu’elle était défavorable à ce projet de loi : ces inspecteurs d’académie ont raison : pourquoi l’Etat devrait-il donner des dérogations à une liberté fondamentale qui n’est donc pas négociable ?
4. Un droit constitutionnel qui a besoin d’être protégé
Ce droit des parents de faire l’école à la maison est garanti par la Déclaration universelle des Droits de l’homme et du citoyen, en son article 26,3 : « Les parents ont par priorité le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants ». Votre propre ministre de l’Education, M. le Président, a reconnu son important poids constitutionnel lors de la loi pour une école de la confiance du 26 juillet 2019, dite loi Blanquer, dans lequel il a estimé que « cette liberté d’instruction à domicile a un fondement constitutionnel puissant ». En commission d’enquête du Sénat sur la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre, le 18 juin dernier, il déclarait aussi que l’encadrement actuel était équilibré : « sur le plan juridique, je crois que nous sommes parvenus à un bon équilibre ». Alors pourquoi vouloir délibérément rogner aujourd’hui sur cette liberté fondamentale, en France, pays des Droits de l’homme ? Comme Président, votre rôle est de veiller au respect de la Constitution. Vous devez donc garantir l’exercice de cette liberté fondamentale, la protéger quitte à mieux l’encadrer. Comme vous le savez, ce phénomène d’instruction en famille, dit aussi IEF, est en forte croissance, particulièrement depuis le premier confinement lorsque tous les parents de France ont pu y goûter…
5. L’école à la maison, un phénomène en augmentation croissante
Ces dix dernières années, 250.000 enfants ont été scolarisés à domicile pendant au moins une année, sachant qu’un élève sur deux pratiquant l’école à la maison retourne dans le système scolaire classique chaque année. En cinq ans, le chiffre a doublé. En septembre 2019, la mesure de votre gouvernement de rendre l’instruction obligatoire dès l’âge de 3 ans accéléra le phénomène, qui compte désormais 60.000 enfants, soit pour handicap sévère (50%), soit pour d’autres raisons très diverses : contraintes géographiques, hyperactivité, haut potentiel, phobie ou harcèlement scolaire, racisme, racket, difficultés d’apprentissage (dysgraphie, dyslexie, dyscalculie), choix d’activités sportives ou musicales intensives, liberté de choix pédagogique, meilleur respect du rythme naturel de l’enfant, choix de vie des parents. Les raisons de l’instruction en famille sont donc aussi multiples que le nombre de familles qui la compose. Une riche diversité à prendre en compte, à moins de vouloir élever les enfants de la République dans un seul moule et d’en faire des clones ? Un but commun rassemble toutes ces familles : le bien-être de l’enfant. C’est un projet de vie qui appartient à nos familles, personne n’a le droit de nous le voler. Non, M.le Président, nous ne sommes pas dans un régime totalitaire : les enfants n’appartiennent pas à l’Etat !
6. L’école à la maison, incubateur de personnalités pour la République
Les exemples sont nombreux de personnalités françaises qui ont fait honneur à la France et qui ont été instruites à la maison. Citons d’abord quelques uns de ces grands noms qui firent l’école à la maison avant les lois Ferry : il y eut le mathématicien-physicien-inventeur-philosophe Blaise Pascal, dont le père, devenu veuf, éduqua seul ses enfants. Mais aussi André-Marie Ampère, qui inventa les termes de courant et de tension : son père puisait chez les philosophes des Lumières les théories qui furent le fondement même de l’éducation de son enfant ; le futur précurseur de la mathématisation de la physique se forma en puisant dans la belle bibliothèque de la maison familiale de Poleymieux-au-Mont-d’Or. Citons encore Pierre Curie, découvreur avec son épouse Marie de la radioactivité, et qui fut instruit en famille, d’abord par ses parents puis par un ami de la famille : il ne fréquenta donc ni l’école, ni le lycée et passa ainsi, dès 16 ans, son baccalauréat scientifique. Marie Curie fit elle-même l’école à la maison à leurs enfants et ses cours de physique furent si exceptionnels que leurs amis leur demandèrent d’en faire un manuel scolaire qui existe toujours ! Après les lois Ferry, on retrouve d’autres personnalités aussi diverses que Pierre-Gilles de Gennes, Prix Nobel de physique 1991, Marguerite Yourcenar, Jean d’Ormesson ou encore Luc Ferry, la navigatrice Maud Fontenoy ou le sportif de haut niveau Taïg Khris. On ne peut non plus parler d’école à la maison sans évoquer aussi le succès de la pédagogie Montessori citée plus haut : aujourd’hui, en ont tous bénéficié les fondateurs de Google, Larry Page et Sergueï Brin, mais aussi celui d’Amazon, Jeff Bezos ou de Wikipedia, Jimmy Wales, sans parler de Will Wright, le créateur du succès planétaire des Sims. Comment nos gouvernants peuvent-ils d’un côté prétendre à toute occasion « vouloir faire naître en France le Facebook de demain » et de l’autre, interdire l’école à la maison qui peut permettre l’avènement de tels entrepreneurs ?
7. L’école à la maison, incubateur de nouvelles pédagogies
C’est aussi à grâce à l’école à la maison et ses inspecteurs que de nombreux instituteurs ont pu découvrir la célèbre pédagogie Singapour pour apprendre les mathématiques, à l’heure où plusieurs études montrent la chute brutale du niveau des élèves français en la matière. Veut-on, en interdisant l’école à la maison, avorter dans l’œuf toutes les innovations pédagogiques dont l’Education nationale pourrait un jour bénéficier, pour le bien de tous les petits Français ? On note aussi que de nombreux professeurs de l’Education nationale ont décidé d’instruire leurs enfants à la maison : sont-ils eux aussi devenus des ennemis de la France qui font de leurs enfants « des petits fantômes de la République », pour reprendre l’expression de votre ministre de l’Intérieur ? Non, M. le Président, nos enfants ne sont pas des petits fantômes !
8. L’école à la maison, une véritable filière économique
L’école à la maison crée durablement de nombreux emplois, alimentant toute une filière qui a besoin d’être soutenue : édition, cours par correspondance, professeurs à domicile, écoles de musique, associations sportives, filière culturelle, etc. A l’heure où l’e-learning est en pleine explosion au niveau mondial, encore accéléré par la crise sanitaire, ce serait un comble… Un groupe comme Alma Learning, numéro 1 français de l’e-learning, qui regroupe la plupart des cours privés par correspondance (Cours Hattemer, Legendre, Sainte Anne) avec plus de 65.000 élèves ou étudiants, représente un chiffre d’affaire annuel en pleine croissance de 350 millions d’euros. A-t-on aussi mesuré le chômage qui résulterait d’un arrêt brutal de toute une économie de l’école à la maison et que l’on voit pourtant très bien se développer dans des pays comme les Etats-Unis ? Pourquoi, en France, M. le Président, supprimer ce qui marche et rapporte même économiquement ?
9. L’école à la maison, soutenue par tous les partis républicains
L’école à la maison est l’école la plus écologique, ce volet du projet de loi est d’ailleurs combattu par Europe Ecologie les Verts. Mais aussi par les autres principaux partis, de la France insoumise à l’UDI en passant par les Républicains : pourquoi vouloir à tout prix interdire ce que tous les autres partis de notre République veulent défendre ?
Pour toutes ces raisons, M. le Président, n’interdisez pas l’école à la maison, au nom du respect de la République, de notre République à tous, y compris de nos enfants.
ps : allez-nous nous obliger à militer contre vous aux prochaines élections présidentielles et à soutenir un candidat qui promettra de garantir cette liberté fondamentale ?