[RÉSUMÉ DE L’ARTICLE] Cette audience devait conduire le Conseil d’Etat à se prononcer sur la notion de situation propre à l’enfant, qui pouvait être interprétée très différemment selon les juges. Or, la direction prise par le rapporteur public conduirait le Conseil d’Etat à ne pas respecter la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel. Le Conseil d’Etat considère en effet que cette réserve d’interprétation ne s’applique qu’à la délivrance d’un projet pédagogique mais que l’Etat a tout à fait la possibilité de décider ou non de l’existence d’une situation propre à l’enfant, sans aucune restriction. C’est particulièrement inquiétant pour les parents, premiers éducateurs de leurs enfants.

Lors de l’audience du 8 décembre 2022, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur les pourvois en cassation dirigés contre deux ordonnances défavorables du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse. Deux familles qui avait choisi le motif 4 de la nouvelle loi sur l’école à la maison, l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif, sur lequel le Conseil constitutionnel avait émise une réserve. En jeu, les libertés et droits fondamentaux.

Un contexte national tendu pour cette liberté éducative

L’association Liberté éducation a souhaité soutenir et accompagner deux familles qui avaient été confrontées à des refus d’autorisation et qui ont perdu leur recours en référé suspension devant le tribunal administratif. Elles se sont ainsi pourvues devant le Conseil d’Etat.

Cette affaire présente un intérêt essentiel, puisque que c’est l’occasion pour le Conseil d’Etat de donner son interprétation du critère tenant à l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif, motif choisi par la majorité des familles depuis l’application de la nouvelle loi. Cette nouvelle législation passe l’école à la maison d’une liberté déclarative à un régime d’autorisation très restrictif.

Le tribunal administratif de Toulouse avait donné raison à plusieurs familles confrontées à des refus d’autorisation tout en rejetant le pourvoi de plusieurs autres, dans une académie où il y a eu plus de 90% de refus sur les nouvelles demandes. Des refus peu justifiés et arbitraires, occasionnant au niveau national plus de 250 recours devant les tribunaux. Avec des projets pédagogiques pourtant sérieux et construits, auxquels nos associations ont apporté leur concours. De plus, la grande majorité des familles ayant exercé le libre choix de l’instruction en famille les années précédentes, bénéficient encore d’une dérogation accordée par la loi jusqu’en septembre 2024, ce qui augure de nombreux contentieux à venir.

Une interprétation inventive de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel

Liberté éducation est particulièrement surprise de la position du rapporteur public du Conseil d’Etat, qui se livre à une interprétation particulièrement inventive de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel.

Saisi, le Conseil constitutionnel avait indiqué cette réserve, dans sa décision du 13 août 2021 :

« Il appartiendra au pouvoir réglementaire, sous le contrôle du juge, de déterminer les modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction en famille conformément à ces critères [vérification de la « capacité d’instruire » de la personne en charge de l’enfant et « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif »], et aux autorités administratives compétentes de fonder leur décision sur ces seuls critères, excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit ».

Le Constitutionnel avait bien indiqué que l’existence d’une situation propre à l’enfant était satisfaite par la présentation d’un projet éducatif adapté à l’âge et aux capacités de l’enfant, comme il le précisait dans le commentaire de son avis (1) :

(…) Examinant le critère de « lexistence dune situation propre à lenfant motivant le projet éducatif », le Conseil a relevé qu’il avait [ce critère] pour objet que « lautorité administrative sassure que le projet dinstruction en famille comporte les éléments essentiels de lenseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme dapprentissage de lenfant ».

 

Or le rapporteur public du Conseil d’Etat considère, comme il l’a affirmé à l’audience, que cette réserve d’interprétation ne concernerait que l’exigence d’un programme pédagogique adapté et non pas l’existence d’une situation propre à l’enfant, lequel serait « un critère opérant et autonome dont l’administration doit vérifier l’existence ». En d’autres termes, le Conseil d’Etat vide la réserve d’interprétation de sa substance, pour se donner toute la liberté d’interpréter de manière arbitraire la notion d’intérêt propre à l’enfant.

Le Conseil d’Etat s’affranchit-il des garanties du juge constitutionnel ?

Serions-nous dans un pays où la plus haute juridiction s’affranchit des garanties du juge constitutionnel ? L’enjeu est capital : Liberté éducation et d’autres associations nationales de l’instruction en famille avaient adressé des mémoires au Conseil Constitutionnel. Si même le Conseil constitutionnel n’a plus d’autorité, alors comment les libertés et droits fondamentaux pourraient-il être respectés ?

Précisons que les juges du Conseil d’Etat ne sont pas tenus de respecter les conclusions du rapporteur public. Leur décision sera rendue dans les prochaines semaines et nous espérons qu’elle ira dans le sens d’un respect des institutions de la Ve République.

Le 13 décembre prochain, le Conseil d’Etat devra aussi rendre sa décision sur les décrets d’application du 16 février 2022 qui avaient fait l’objet d’une demande d’annulation de la part des associations nationales de l’instruction en famille, dont Liberté éducation. Dans ces deux affaires, il s’agissait de la même formation, avec le même rapporteur public.

Nous luttons pour une juste cause – celle de nos enfants – et nous finirons tôt ou tard par l’emporter !


(1) Commentaire du Conseil Constitutionnel, page 26.

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