Dans une note de mars 2021 publiée sur le portail Educ France, des professeurs de droit constitutionnel démontrent en quoi l’instruction en famille est constitutionnelle. Si l’article 21 est voté à l’Assemblée, les associations de défense de l’instruction en famille, ainsi que les parlementaires, saisiront le Conseil constitutionnel avec l’aide de plusieurs avocats.

Par Pierre Delvolvé, membre de l’Institut de France, professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas Paris II et Xavier Bioy, Pierre Egéa et Nicolas Sild professeurs à l’Université de Toulouse Capitole.

Le projet de loi confortant le respect des principes de la République établit un régime d’interdiction de principe pour l’instruction à domicile, l’autorisant seulement dans des cas limités. Ce régime porte atteinte à la liberté fondamentale d’enseignement.

La liberté d’enseignement, une liberté fondamentale

Reconnue par des instruments internationaux comme la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, le Pacte international sur les droits civils et politiques, la Convention européenne des droits de l’homme et ses protocoles additionnels et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la liberté d’enseignement fait partie en France du bloc de constitutionnalité et est un principe fondamental[1] reconnu par les lois de la République.

Composante de la liberté d’enseignement, la liberté d’instruction en famille a valeur constitutionnelle

Le Conseil d’État considère ainsi à juste titre que cette liberté d’enseignement implique « le droit pour les parents de choisir, pour leurs enfants, des méthodes éducatives alternatives à celles proposées par le système scolaire public, y compris l’instruction au sein de la famille[2] », conformément à la loi de 1882 et au Code de l’éducation actuel.

La liberté de l’instruction dans la famille permet aussi la mise en œuvre du droit et du devoir d’éducation qui appartient aux parents, comme le précise le Code civil sur l’autorité parentale. En violant la liberté de l’enseignement en l’une de ses composantes, l’article 21 du projet de loi est contraire à la Constitution.

L’institution d’un régime d’interdiction, sauf autorisation : un basculement contraire à la liberté de l’enseignement

La soumission de l’exercice d’une activité à l’exigence d’une autorisation constitue en soi une interdiction de principe de cette activité. Cette interdiction est patente dans les dispositions du projet de loi qui, loin de renforcer le régime de déclaration comme en 2013 et en 2019, supprime purement et simplement la liberté d’assurer un enseignement en famille.

On se trouve exactement dans la situation qui a donné lieu à une décision du Conseil constitutionnel[3] sur l’acquisition de capacité juridique des associations déclarées. On peut transposer cette décision presque mot pour mot au cas présent : en vertu du principe de la liberté d’enseignement, l’instruction en famille s’effectue librement sous la seule réserve du dépôt d’une déclaration préalable. Cette activité, à l’exception des mesures susceptibles d’être prises à l’égard de certaines familles, ne peut être soumise à l’intervention préalable de l’autorité administrative ou judiciaire.

Des mesures restrictives non nécessaires : appliquer la loi actuelle suffit

Plus généralement, des mesures restrictives d’une liberté ne peuvent être prises, selon une formule devenue classique, que si elles sont « nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi ».

Or, les dispositions actuellement en vigueur donnent à l’État le moyen de s’assurer que les enfants reçoivent une instruction effective et complète et peuvent s’insérer dans la société, conformément à l’objectif poursuivi. Si ces contrôles sont insuffisants, cela ne tient pas aux dispositions elles-mêmes, mais aux moyens mis en œuvre pour les réaliser. L’inapplication d’une législation par manque de moyens commande de renforcer les moyens, non de modifier la législation.

Des mesures restrictives non adaptées : l’interdiction atteindrait des familles non visées par l’objectif du projet de loi

L’interdiction de l’école en famille vise en réalité certaines familles dont l’idéologie séparatiste constitue un danger, mais atteint toutes celles dont les conceptions sont parfaitement conformes avec la vie sociale.

Le dispositif est comparable à celui que le Conseil constitutionnel vient de censurer[4] sur l’interdiction faite aux personnes âgées, ou handicapées, ou ayant besoin d’une aide à leur domicile ou d’une aide à leur mobilité, de consentir des libéralités au profit des personnes leur apportant une assistance. De la même manière, l’interdiction, sauf autorisation, de l’instruction à domicile, motivée par l’objectif de lutter contre l’idéologie séparatiste, n’est pas adaptée.

Des mesures restrictives non proportionnées à l’objectif poursuivi

La quatrième hypothèse dans laquelle l’instruction en famille est justifiée combine des conditions de forme et de fond, et est à la fois très restreinte dans son objet et très large quant à son appréciation par l’administration. Or, comme l’a dit le Conseil constitutionnel, « l’octroi d’une autorisation ne peut être subordonné à la diligence d’une autorité administrative[5] ».

De plus, les conditions de fond excluent la possibilité pour les parents d’invoquer leurs convictions, qu’elles soient philosophiques, religieuses ou pédagogiques : ne peut en effet être invoquée que « l’existence d’une situation propre à l’enfant ». Or, les textes internationaux et européens déjà cités imposent à l’État de respecter le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques.

Une régression patente des libertés fondamentales : un texte de loi liberticide

Le projet de loi, écartant le principe même d’une éducation d’un type choisi par les parents pour motifs personnels, alors même que cette liberté existe actuellement, constitue une régression patente de libertés fondamentales. Le dispositif du nouveau texte de loi n’a jamais été aussi liberticide.

Le système de la Convention européenne des droits de l’homme ne permettrait un tel recul qu’à des conditions qui ne se trouvent pas réunies ici : toute régression d’une liberté acquise suppose un motif d’intérêt général impérieux et étroitement lié à l’objet de la loi.

Une ingérence non nécessaire dans une société démocratique

L’État ne peut s’ingérer dans les choix éducatifs qu’en cas de risque majeur pour l’enfant, sa santé ou sa vie[6]. Si la liberté d’enseignement des parents doit être combinée avec le droit à l’instruction de l’enfant, le souci de protection de l’enfant contre l’endoctrinement religieux ne justifie pas en soi, de manière générale et a priori, la suppression d’une liberté.

A voir aussi intervention de Pierre Delvolvé au colloque de la Fondation Kayros (à partir de 1h15) :


Lire aussi :


Notes

[1]   décision du Conseil constitutionnel n77-87 DC du 23 novembre 1977

[2]   arrêt du 19 juillet 2017

[3]   du 16 juillet 1971 (no 71-44 DC)

[4]   décision du 12 mars 2021, no 2021-888 QPC

[5]   18 janvier 1995 no 94-352 DC

[6]   CEDH, 7 août 1996, Johansen c. Norvège.

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