« M. Blanquer, vous n’avez pas le monopole de l’intérêt supérieur de l’enfant »

Tribune de l’interasso IEF publiée sur Mediapart.

Avec l’article 21 du projet de loi « confortant le respect des principes de la République », le gouvernement veut imposer une restriction de liberté majeure et historique à tous les enfants dès 3 ans et à leurs parents, sans se soucier de leur point de vue.

Lors des débats en Commission spéciale du 22 janvier dernier, Monsieur Blanquer, vous avez prétendu agir « pour le bien des enfants » et affirmé que « cette loi [allait] permettre de préciser et de renforcer la liberté d’enseignement ». Dans l’étude d’impact du gouvernement, vous anticipez pourtant la scolarisation imposée de 30 000 enfants actuellement instruits en famille. Est-ce là votre conception de la liberté ? Où sont les chiffres censés justifier une mesure si autoritaire ? L’objectif recherché serait-il différent de celui annoncé ? (1)

Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant ne saurait être invoqué pour justifier une violation de ses droits

Les enfants sont des êtres humains dotés de droits. Ils n’appartiennent évidemment ni à leurs parents ni à l’État. L’autorité parentale, définie comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant », appartient quant à elle aux parents jusqu’à la majorité de l’enfant (Code civil 371-1). C’est en effet aux parents que la loi républicaine et les conventions internationales ont confié, par priorité, la liberté fondamentale de choisir le genre d’éducation et d’enseignement à donner à leurs enfants.

Monsieur Blanquer, le Commissaire aux droits de l’Homme, Monsieur Thomas Hammarberg, s’adresserait-il à vous lorsqu’il indique que : « Des gouvernements […] invoquent parfois indûment le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant pour justifier des mesures qui, en réalité, portent atteinte à ses droits […] Ces mesures procèdent toutes, non d’un souci véritable de l’intérêt de l’enfant, mais d’une condescendance extrême […] Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant ne saurait être invoqué pour justifier une violation de ses droits. » ? (2)

La Défenseur des droits, Madame Claire Hédon, ne s’y est pas trompée et l’a clairement exprimé devant la Commission spéciale : « On n’a pas d’incompatibilité de principe entre une école républicaine et la liberté laissée aux parents sur les modalités pratiques de l’instruction dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant […] Bien que la valeur constitutionnelle de la liberté [d’enseigner des parents] ait été reconnue, elle se trouve très amoindrie par cet article […]. Je tiens à rappeler que l’ensemble des mesures doivent être subordonnées dans leur conception comme dans leur mise en œuvre à la considération de l’intérêt supérieur de l’enfant. » (3)

La famille ne nuit, a priori ou par essence, ni à l’éducation, ni à l’instruction, ni aux
droits des enfants

Les parents sont les premiers garants de l’intérêt des enfants dont ils ont la responsabilité. Ainsi, ils font le choix, en concertation avec eux, de déléguer ou non leur instruction à l’institution scolaire. Cette liberté de choix est fondamentale. Elle ne peut, ni ne doit, être soumise à l’arbitraire administratif. Certes, il revient à l’État de contrôler l’usage qui est fait de l’autorité parentale et, si nécessaire, de sanctionner ou même suppléer. A posteriori, en cas de manquement ou de défaillance parentale avérée, et non a priori, sur la base de préjugés ou de présomptions infondés. Par vos interventions en Commission spéciale ou dans les médias, les familles se voient privées de la présomption d’innocence au profit d’une intolérable présomption de culpabilité. Pourquoi tant de défiance ?

Si c’est par ignorance des réalités de l’instruction en famille, vous lirez à profit le dossier documentaire que nous avons élaboré afin de faire découvrir la réalité de nos familles : « L’instruction en famille : un des piliers de la liberté d’enseignement » (4), ainsi que les prises de positions de chercheurs qui, depuis l’international, s’inquiètent de mesures si autoritaires et soutiennent le libre choix de l’instruction en famille (5).

Conforter le respect de la liberté d’enseignement

Loin de la renforcer, l’article 21 du projet de loi est une atteinte grave à la liberté d’enseignement, principe de la République s’il en est. Les parlementaires, informés, sauront ne pas être dupes des amalgames et préjugés actuellement colportés sur l’instruction en famille. Nous les appelons à rendre aux parents la confiance qu’ils méritent en votant en faveur de la suppression de cet article 21, seule solution permettant de maintenir réellement les droits de toutes les familles, dans l’intérêt des enfants.

L’association LED’A
L’association LAIA
L’association CISE
L’association UNIE
Le collectif FELICIA
Le collectif EELM
Enfance Libre
L’association Liberté Éducation

Voir notre tribune commune sur Mediapart


Notes et références :

1 – Selon l’avis du Conseil d’État , l’étude d’impact ne permet ni « la clarification et la
hiérarchisation des objectifs du gouvernement » ni d’identifier « les carences reprochées » à
l’instruction en famille. Et pour cause, les contrôles de l’Éducation nationale attestent du respect du droit à l’instruction des enfants instruits en famille dans plus de 98 % des cas.
2 – Voir Cairn.info
3 – Vidéo sur le site de l’Assemblée (ou notre article)
4 – Dossier documentaire « L’instruction en famille : un des piliers de la liberté d’enseignement »
5 – LED’A – Des chercheurs et auteurs internationaux soutiennent la liberté pour tous d’instruire en
famille, janvier 2021.

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